François-René Christiani, Léo Ferré, Jacques Brel, Georges Brassens - Trois hommes dans un salon paroles de (lyrics)

[François-René Christiani, Léo Ferré, Jacques Brel, Georges Brassens - Trois hommes dans un salon paroles de lyrics]

- Georges Brassens, Jacques Brel, Léo Ferré
Êtes-vous conscients du fait
Que vous êtes les trois plus grands
Auteurs-compositeurs-interprètes de la
Chanson française
Depuis des années et avec le même succès?

FERRÉ: Moi, je suis conscient d’être
D’abord avec mes deux confrères, qui ont
Un immense talent c’est vrai, mais d’abord
Avec deux copains et ça
Il y a longtemps que je le
Désirais aujourd’hui
Les gens n’arrêtent pas de dire: " Qu’est
Ce que c’est la chanson pour
Vous, qu’est ce que c’est la bretelle?", ça
On s’en fout l’important, je crois
C’est un peu d’amour qu’on peut
Distribuer ou recevoir, comme ca, autour
D’un micro, par exemple maintenant
Que nous fassions des chansons
Depuis vingt ans, qu’on y
Ait beaucoup travaillé
Qu’on ait, comme on dit chez moi
Longtemps " zugumé" sur le métier
Et qu’aujourd’hui on puisse chanter
Tranquillement dans une
Salle sans savoir ni les flics
Ni les gens qui viennent siffler
Ce n’est que
Justice, finalement on fait ce qu’on peut
On dit ce qu’on a envie de dire et il n’y
A pas besoin de casser des vitres pour ça

- Vous êtes tous les trois dans la
Célèbre collection " Poètes d’aujourd’hui"

BRASSENS: On n’est pas les seuls et pis
Ça ne veut pas dire grand-chose
Cette façon de compartimenter

- Vous ne vous prenez pas pour un poète
Alors?

BRASSENS: Pas tellement, je ne sais
Pas si je suis poète
Il est possible que je le
Sois un petit peu, mais peu m’importe je
Mélange des paroles et de la musique
Et puis je les chante
- Je crois que Jacques Brel aussi
Se défend d’être un poète?

BREL: Je suis "chansonnier"
C’est le vrai mot! Je suis un
Petit artisan de la chanson

FERRÉ: Les gens qui se disent poètes, ce sont
Des gens qui ne le sont pas tellement
Au fond les gens qui sont
Honorés qu’on les qualifie de poètes
Ce sont des poètes du dimanche qui
Ont des plaquettes éditées à
Compte d’auteur… Cela dit, si on me
Dit que je suis poète
Je veux bien mais c’est comme si on
Me disait que je suis un cordonnier
Qui fait de belles chaussures je rejoins
Le point de vue de Brel

- La chanson est-elle un art
Selon vous? Un art majeur ou un art mineur?

FERRÉ: Brassens a dit une chose vraie
" je mélange des paroles et de la
Musique " voilà ce que je fais

BRASSENS: Eh oui, c’est tout a fait différent
De ce qu’on appelle couramment la poésie
Qui est faite pour être lue ou dite
La chanson c’est très différent même
Si des types comme Ferré
Ont réussi à mettre des poètes
En musique, comme Baudelaire, il est
Difficile d’utiliser la chanson comme les
Poètes qui nous ont
Précédés utilisaient le verbe quand
On écrit pour l’oreille, on est quand même
Obligé d’employer un vocabulaire
Un peu différent, des mots qui accrochent
L’oreille plus vite… Bien qu’on l’aie
Aussi avec le disque
Le lecteur a plus facilement la
Possibilité de revenir en arrière

BREL: Oui, mais le disque est un
Sous produit de la chanson, il ne
Faut pas se leurrer… La chanson a
Été faite pour être chantée
Pas en fonction d’un disque à diffuser

FERRÉ: Moi je suis exactement de
Son avis c’est comme si vous faisiez de bons
Chocolats, des chocolats extraordinaires
Hors commerce et que vous les
Gardiez chez vous mais
À partir du moment où vous les mettez
Dans un paquet, où vous les mettez dans le
Commerce, ça ne vous intéresse plus moi
Si je fais de bons chocolats et que
Les autres les mangent
Je m’en fous… Le paquet c’est le disque
Et le disque c’est un peu
La mort de la musique

BRASSENS: Autrefois on chantait quand
Un type faisait
Une chanson, les gens se la passaient, se
L’apprenaient et se la
Chantaient ils participaient, ils
Avaient des cahiers de chansons… Aujourd’hui
Le public est devenu plus passif

FERRÉ: Il y a des gens
Qui reçoivent d’abord la musique
D’autres qui reçoivent d’abord les
Paroles les gens les
Plus intelligents reçoivent d’abord
Les paroles les gens les plus
Sensibles – et peut être
Les moins intelligents
Ce qui est possible aussi – reçoivent d’abord
La musique ce qui fait que j’ai
Pu faire connaître Baudelaire à des gens qui
Ne savaient pas qui était Baudelaire

BREL: Autrefois
Quand un type écrivait une chanson les
Gens la reproduisaient – comme
Disait Georges –, alors qu’aujourd’hui
C’est nous qui nous reproduisons
Ca faisait chaîne, avant
Je veux dire avant le microsillon en fait
Le plus grand inventeur de la chanson
C’est cet ingénieur anglais qui a trouvé le
Principe du microsillon
Pendant la guerre ca part
Dans des couveuses… et
Maintenant, j’ai l’impression que je
Ponds des œufs, moi

FERRÉ: C’est ça vous disiez
Tout à l’heure qu’on
Était des poètes ou artisans, tout ça… non
Vous savez ce qu’on est tous les trois?

BRASSENS: De pauvres connards
Devant des micros!
FERRÉ: Non… on est des chanteurs parce que
Si on n’avait pas de voix, on ne pourrait
Pas se produire parce que si n’avais pas
De voix, toi Georges, ou toi Jacques
Tu n’écrirais pas et moi non plus

BRASSENS: Tu es bien gentil de
Me dire ça parce
Que moi, de ce côté là, c’est pas terrible
Hein!

FERRÉ: Si, tu as de la voix tu chantes
Et lui aussi s’il n’avait
Pas voix, qui chanterait les chansons de
Brel? Tout ce qu’il a fait
Il ne l’aurait pas écrit il a
Écrit ses chansons parce qu’il
Les a " publiées " avec sa voix et moi aussi

BRASSENS: Oui
Il aurait sûrement écrit d’autres choses

BREL: Ce qui revient à dire
Qu’on est peut être
Chanteur… justement parce qu’on a de la voix

- Avez-vous jamais fait autre chose que
D’écrire, de composer ou de chanter
Et cela vous a-t-il servi dans
Votre métier de chanteur?

FERRÉ: Parallèlement on ne peut
Pas faire autre
Chose maintenant ce qu’on a fait
Avant, on a tous été à l’école
Fait des études, des petit's boulots, etc

BRASSENS: On a vécu, quoi mais, en fait
On a toujours fait des chansons

FERRÉ: On a dû gagner notre vie
Parfois quand
Brel est arrivé à Paris avec sa guitare
Je ne sais pas
Ce qu’il faisait pour gagner sa vie
Mais ça ne devait pas être marrant il n’a
Pas envie d’en parler, je suppose

BRASSENS: Tu n’étais pas le
Seul d’ailleurs moi
Je n’ai jamais rien fait que ça

- Vous avez tous les trois
Plus ou moins fait du cinéma
Pensez-vous qu’il y ait
Des liens entre le comédien et le chanteur?
FERRÉ: Moi, je n’ai jamais joué la
Comédie j’aimerais bien le
Faire mais je crois que je ne
Saurais pas j’aimerais comme on
Aimerait faire une
Chose qu’on ne sait pas faire

BRASSENS: Je ne sais pas non plus faire cela
Très sincèrement… Je ne sais pas

BREL: J’ai fait deux films pas pour le
Cinéma, du cinématographe des
Frères lumières
Mais parce que les deux fois il
Y avait une idée de
Liberté… Et je suis très attaché
À mes petites idées de
Liberté! La première fois, c’était Les
Risques du métier, l’autre fois
La bande à Bonnot c’est l’idée qui
M’a séduit et je crois que, si on peut
Donner un coup de main à une idée
Il faut le faire

- Le cinéma, c’est avant tout un travail
D’équipe… Cela vous a-t-il
Vraiment changé du travail
Solitaire du chanteur?

BREL: Non… Pour la comédie musicale
On peut beaucoup plus parler
De travail d’équipe

BRASSENS: Je ne crois pas que ce soit le
Travail d’équipe, ou quoi que
Ce soit d’autre, qui apporte ou n’apporte
Pas quelque chose de plus… Un
Type aime jouer la comédie
Ou il n’aime pas moi, je n’aime pas ça
Mais je n’ai rien
Contre le travail d’équipe le
Film que j’ai fait, porte des
Lilas, je l’ai fait avec des
Copains comme Brasseur, Bussières
Ça marchait très bien ils ne me gênaient
Pas je ne les gênais
Pas ce que je n’aime pas
C’est le côté technique
Mécanique pas plus que ce micro que vous
Nous avez foutu sous le nez!

FERRÉ: Quand nous chantons, que nous
Sommes seuls devant les projecteurs
Avec juste le costume, la
Guitare ou le piano
Nous savons ce qu’est la solitude d’un
Chanteur on s’en arrange avec ce
Qu’on appelle " du métier", mais ce n’est
Pas toujours facile ce que je me
Demande, c’est si, pour Brel
La solitude au théâtre est la
Même qu’au tour de chant?

BREL: Oui c’est la même solitude

FERRÉ: Tu veux dire quand tu tiens
Ton rôle, au milieu des autres, tu es
Aussi seul que quand tu chantes dans
Une salle pendant deux heures? Ca
C’est nouveau pour moi… je ne
Me rends pas compte

BRASSENS: Mais si… Parce que si
Ça n’est pas bon
On dira que c’est lui qui n’est pas bien
Il faut quand même qu’il pousse son cri

FERRÉ: Il est déjà dans sa carapace au
Moment où il entre en scène

BREL: Pour L’Homme de la Mancha
C’est un peu différent parce que c’est
Moi qui ai provoqué cette
Folie donc je reste un peu seul avec ma folie

- Les autres ne la partagent pas?

BREL: Si, ils la partagent! Mais il est
Vraisemblable qu’ils ne considèrent pas
Tous cela comme une folie enfin moi
Dans l’instant où je joue
Je suis aussi seul que dans le tour de chant

BRASSENS: Ne t’inquiètes pas de toute façon
Tu es toujours seul partout
Tout le temps et tu n’es
Pas le seul d’ailleurs!

BREL: Mais bien sûr! Le type qui me dit
Qu’il n’est pas seul dans la vie
C’est qu’il est plus Belge que moi!

- Quoi que fassiez, vous êtes toujours
Seuls? Est-ce à dire que
Pour faire de grandes et belles choses
Il faut être seul et malheureux?

FERRÉ: Ah oui! Les seules choses valables se
Font dans la tristesse et la solitude
Je crois que l’art est une excroissance de
La solitude les artistes sont seuls

BREL: L’artiste c’est un
Brave homme totalement
Inadapté qui n’arrive qu’à dire
Publiquement ce qu’un type normal dit
À sa bobonne le soir

FERRÉ: Plutôt ce qu’un type normal pourrait
Dire à sa femme le soir

BREL: Oui, mais l’artiste, c’est un timide
C’est un type qui n’ose
Pas aborder les choses " de
Face " comme on dit
Et qui n’arrive qu’à dire
Publiquement ce qu’il
Devrait dire d’une manière courante dans la
Vie… Il est un peu
Orgueilleux aussi c’est finalement
Très clinique, très médical
L’artiste cela dit, le pire c’est
L’artiste qui n’est pas artiste
Le timide qui ne
Pond pas son œuf alors là c’est effroyable
Parce qu’on tombe carrément dans
Le cas clinique

- Ce n’est plus un artiste, alors?

BREL: Au sens propre, non

FERRÉ: Il n’y a qu’un mot pour cela
C’est " amateur"

- Peut-on dire que, dans ce métier
Vous avez toujours fait ce
Que vous vouliez faire?

FERRÉ: Sûrement pas si je faisais ce
Métier comme je le voulais
Je viderais les salles et encore
Je ne me gêne pas, vous le savez… Alors je
Fais aussi des concessions

BRASSENS: Tu entends par là que tu
Ne dis pas exactement tout
Ce que tu veux, comme tu veux? Oui, bien sûr
Mais, enfin tuas tout de même
La possibilité de chanter quand
Tu veux et à peu près ce que tu veux
En le criant un petit peu

FERRÉ: Ah oui
Mais pourquoi? Parce que maintenant nous
Sommes des hommes publics mais
Quand j’ai débuté, je
Me faisais foutre à la
Porte des maisons d’édition
Je leur crachais à la figure, bien entendu
Mais tout de suite j’étais fichu à la porte

BREL: Moi, je n’ai pas ce sentiment-là j’ai
Le sentiment de faire relativement
Ce que j’ai envie depuis toujours
Je ne dis pas
Que j’ai été heureux tout le temps
Ça n’a rien à
Voir, et je ne l’ai pas été, mais en gros
J’ai toujours fait à peu
Près comme j’ai voulu

BRASSENS: Nous sommes quand même parmi
Ceux qui peuvent faire
À peu près ce qu’ils veulent… Bien sûr
On ne va pas aller
En scène menacer le public ou lui
Tirer dessus à la mitraillette
On fait ce qu’on veut, en
Restant dans certaines limites
Avec un peu de civilité

FERRÉ: Moi j’ai un problème qui est le même
Depuis des années: chaque fois que je
Fais des chansons, c’est parce que j’en ai
Besoin pour mon tour de chant
Alors je les fais vite et
Puis après je suis paresseux
J’attends… Et chaque fois
Je me dis: est-ce que je vais
Savoir encore en faire? Et ça
Je ne sais si c’est pareil pour vous?

BREL: Mais oui… bien sûr! Chaque
Fois qu’on en fait une
On se dit: celle-ci c’est
La dernière c’est normal

BRASSENS: Moi, chaque fois que je m’y remets
Je ne sais plus les faire non plus

BREL: Et moi
Je ne sais plus vraiment les faire
J’ai oublié comment on faisait!

BRASSENS: Oui, mais ça revient très vite

- Et si vous deviez ne plus chanter
Si vous étiez obligés de
Choisir un autre métier?

- Qu’avez-vous fait de votre premier cachet?

FERRÉ: On l’a bouffé, je crois

- Au début, peut-être mais ensuite
Avec le succès et
L’argent que vous avez gagné grâce à lui
N’avez-vous pas eu l’impression
Que vos rapports
Avec les gens s’étaient modifiés?

FERRÉ: L’argent, ça donne l’indépendance
Absolue c’est important, ça
Coûte cher l’indépendance maintenant
Le trop d’argent
Je crois que tous les trois on s’en fout je
Ne sais pas ce qu’est un bas de laine

BRASSENS: C’est très emmerdant
Cette histoire d’argent parce que beaucoup de
Types se lancent dans la chanson
Uniquement pour ça nous, on
Était très content de gagner notre
Vie avec nos petites chansons
Mais on n’a pas fait ça dans cette intention
On l’a fait parce que ça nous plaisait
Ça ne nous rapporterait rien qu’on le
Ferait quand même! On ne vendrait pas des
Sardines à l’huile – je ne sais
Pas si ça rapporte d’ailleurs – si ça
Rapportait plus que de faire des
Chansons si on était payé
Comme un fonctionnaire
Pour faire ce que l’on fait
On continuerait quand même parce qu’on aime
Ça et depuis quelques années, justement
On n’entend parler que de
Cachets mirifiques il y a des tas de types
Qui se lancent dans cette aventure et
Qui s’y cassent les dents

BREL: Parce qu’ils en font
Une aventure financière

- Avez-vous la hantise de
Devenir de vieux chanteurs
De vieillir avec vos chansons?

- Et l’angoisse de la
Mort? Vous la ressentez?

BRASSENS: Non… en acceptant de vivre
J’ai accepté de mourir aussi alors

FERRÉ: Ceux qui écrivent, comme nous
Sont naturellement obsédés par la mort on
Y pense tous les jours

BRASSENS: C’est un de nos sujets favoris
Forcément il n’y a pas trente-six sujets
Vous savez quand on écrit on est
Obligé de rencontrer la mort

FERRÉ: Mais ça n’est pas
Forcément triste la chanson
De Georges sur son enterrement
N’est pas triste

- Avez-vous le sentiment d’être
Devenu des adultes?

BRASSENS: Aïe, aïe, aïe!

BREL: Moi non

FERRÉ: Moi non plus

BRASSENS: On est tous un peu
Demeurés! Pour devenir adulte
Il faut déjà faire
Son service militaire, se marier, avoir des
Enfants il faut embrasser une carrière, il
Faut la suivre, monter en grade c’est comme
Ça qu’on devient adulte… Nous autres
Nous avons un peu une vie en
Marge de la vie normale
En dehors du réel on ne
Peut pas devenir adultes

- Peut-être parce que vous n’avez pas
Voulu vous adapter au système traditionnel?

BREL: Ou qu’on n’a pas pu!

BRASSENS: Parce que c’était notre caractère
De ne pas nous
Y adapter voilà tout on ne l’a pas
Fait exprès il n’y a pas de vantardise à
Dire qu’on est solitaire on est comme ça

FERRÉ: Ca rejoint l’enfant-poète
Quant Brel chante
Sans rire, et qu’il y croit, quand
Il dit cette chose merveilleuse
" j’allumerai
Ma guitare, on se croira espagnol"
Il n’y a qu’un gosse qui puisse dire ça!

BREL: Bien sûr c’est une question
De tempérament finalement… Le tout
C’est de savoir ce
Qu’on fait devant un mur: est-ce qu’on passe
À côté, est-ce qu’on saute par-dessus
Ou est-ce qu’on le défonce?

BRASSENS: Moi, je réfléchis!

BREL: Moi je le défonce! Enfin
J’ai envie de prendre une pioche

FERRÉ: Moi je le contourne!

- Vous avez tous, à un moment ou à un
Autre de votre existence, ou
Même encore maintenant
Flirté avec les mouvements
Anarchistes ou libertaires, Pour Brassens
Ce fût une époque, pour Brel
Un surnom, et pour Ferré c’est
Encore une cause militante
Un prétexte à des
Récitals presque insurrectionnels

FERRÉ: Non! Je ne suis pas
Je ne peux pas être un militant je
Ne peux pas militer pour quelque idée
Que ce soit car je ne serais
Pas libre et je crois que
Brassens et Brel sont comme moi
Parce que l’anarchie
Est d’abord la négation de toute autorité
D’où qu’elle vienne l’anarchie a d’abord
Fait peur aux gens, à la fin du XIXe siècle
Parce qu’il y avait des bombes après
Ça les a fait rigoler ensuite
Le mot anarchie a
Pris comme un goût mauvais dans la bouche
Des gens et puis, depuis quelques mois
Singulièrement depuis mai
Les choses se sont remises en place je
Vous assure que quand vous prononcez le
Mot anarchie, ou anarchistes, même en scène
Les
Gens ne rigolent plus, ils sont d’accord
Et ils veulent savoir ce que c’est

BRASSENS: C’est difficile à expliquer
L’anarchie… Les anarchistes eux-mêmes ont
Du mal à l’expliquer
Quand j’étais au mouvement anarchiste – j’y
Suis resté deux ou trois ans
Je faisais Le Libertaire
En 45-46-47, et je n’ai
Jamais complètement rompu avec
Mais enfin je ne milite plus comme avant –
Chacun avait de l’anarchie une idée tout à
Fait personnelle c’est d’ailleurs ce qui est
Exaltant dans l’anarchie: c’est qu’il n’y
A pas de véritable dogme
C’est une morale, une façon
De concevoir la vie, je crois

BREL: …Et qui accorde une
Priorité à l’individu!

FERRÉ: C’est une morale du refus car
S’il n’y avait pas eu au
Long des millénaires quelques
Énergumènes pour
Dire non à certains moments
Nous serions encore dans les arbres!

BREL: Je suis entièrement d’accord avec ce
Que dit Léo cela dit
Il y a des gens qui ne se sentent pas
Seuls ni inadaptés et qui
Trouvent leur salut collectivement

BRASSENS: Bien sûr en ce qui me
Concerne, je ne désapprouve jamais rien
Les gens font à peu près ce
Qu’ils veulent je suis d’accord ou
Je ne suis pas
D’accord, c’est tout parce que
J’avais dit ça
On m’a souvent reproché de ne pas
Vouloir refaire la société c’est que
Je ne m’en sens pas capable
Si j’avais des solutions collectives

BREL: Mais qui, qui a la solution collective?

- Léo Ferré?

FERRÉ: Moi je suis moins lyrique que lui

BRASSENS: …Toi, Léo
Tu es complètement désespéré!

BREL: Il y a un phénomène d’impuissance
Aussi, qui est absolument affreux, quoi

- Vous avez donc vraiment l’impression
De ne rien pouvoir faire?

BRASSENS: Non, je fais quelque chose auprès
De mes voisins, de mes amis
Dans mes petites limites je pense
D’ailleurs que c’est aussi valable que
Si je militais quelque
Part… Ne pas crier haro sur le baudet
C’est une forme d’engagement comme une autre

FERRÉ: Je trouve que Georges, dans son cœur
Il milite bien plus que moi parce que moi
Je ne crois plus en bien des
Choses auxquelles il veut croire

BRASSENS: Je fais semblant
Léo je fais comme lorsque
L’amour s’en va je fais semblant d’y croire
Et ça le fait durer un petit peu

FERRÉ: Non, non quand l’amour s’en va
Il est déjà parti depuis longtemps

- S’il n’y a pas selon
Vous, de solution politique
Y a-t-il une solution "mystique"? Dieu
Ou toute forme de religion?

BRASSENS: Alors là
Nous sommes plus à notre aise!

FERRÉ: Oui! Eh bien, j’ai été dans un collège
Religieux, j’ai servi la messe
Pendant huit ans
J’ai été enfant ce chœur, et voilà… Je
Ne vais plus à la messe, évidemment
Depuis cette époque-là

BREL: J’ai été dans un collège religieux
J’ai servi la
Messe pas huit ans, un an je crois
Juste le temps d’acheter un vélo
Avec ce qu’on me donnait

BRASSENS: Moi, j’ai été scout de France

BREL: Moi aussi mais pas de
France j’étais scout belge!

BRASSENS: Ne croyant pas
Il m’est difficile de parler de Dieu

- Dieu, ce serait une sorte de fétichisme
À vos yeux?

FERRÉ: Non
Nous ne sommes pas fétichistes ou si
Nous le sommes avec les femmes

BRASSENS: Dans une certaine mesure, oui
Ça pourrait bien être une
Sorte de fétichisme d’ailleurs
Quelqu’un l’a appelé le Grand Fétiche, Dieu
J’en parle beaucoup dans mes chansons
Mais seulement pour que l’on comprenne
Ce que je veux dire

- Avez-vous l’impression des fois
Que vous avez une
Tradition derrière vous, le folklore
Français, les Béranger, etc?

BRASSENS: On a derrière nous tout ce qu’on
A entendu, tout ce qu’on a lu
Tout ce qu’on a aimé

FERRÉ: Tout ce qu’on a fait!
Tout ce qui fait qu’aujourd’hui
On sait un peu quelque chose de notre métier

BREL: Tout ce qu’on a pas fait, aussi
Ça joue beaucoup moi, quand j’écris
Tout ce que je n’ai pas fait – et
Qui m’attire un peu – joue beaucoup

- Pensez-vous qu’il y ait
Une différence entre
La chanson telle que vous l’écrivez, la
Chantez, et la chanson "actuelle", un peu
Électrique, avec du mouvement, du clinquant
D’un Gainsbourg par exemple?

BREL: C’est pas du clinquant
C’est du mouvement

BRASSENS: Il y a des différences entre
Tout le monde, vous savez lui
Il cherche quelque chose

FERRÉ: Il y a un parti pris, chez lui
Au départ mais il a
Trouvé quelque chose c’est pas mal fait
C’est rythmiquement bien foutu et puis
C’est un "érotomane"
Moi j’aime assez les érotomanes, parce
Que je n’en suis pas, sans doute il s’en
Vante, d’ailleurs
Ce n’est pas un secret maintenant
Il a joué une carte, quoi
Peut-être qu’il l’a jouée consciemment
Mais c’est pas mal

BRASSENS: Et puis, ça correspond à
Sa nature, à son caractère
C’est tout simple

- Et la pop music… Les Beatles?
Quels sentiments vous inspirent ces gens-là
Cette musique-là?

BRASSENS: J’aime beaucoup ça sur le
Plan musical pour ce qui est des paroles, je
Ne comprends pas l’anglais
Alors ça va tout seul

FERRÉ: Comme Georges
J’aime beaucoup sur le plan musical et
Je ne cherche pas tellement
À comprendre les paroles, sauf
Celles d’une chanson qui s’appelle "Hey
Jude" et qui se
Termine par une chose qui n’en finit plus
Je voudrais bien savoir pourquoi et ce que ce
La veut dire ce sont des musiciens

BREL: Moi, je suis très content que
L’on rende publiques les
Harmonies de Gabriel Fauré ils ont ajouté une
Pédale charleston aux harmonies de
Gabriel Fauré c’est
Très faurien tout ça et je trouve
Très bien qu’ils en aient fait une chose
Populaire c’est très joli pour le reste
J’ai les
Mêmes ennuis que Georges avec l’anglais
Je ne
Sais jamais exactement de quoi ils parlent
Mais je crois que çà
N’a pas beaucoup d’importance

BRASSENS: Le tout est de savoir comment
Les gens les aiment s’ils les
Aiment profondément ou s’ils les aiment
Parce que c’est une mode

FERRÉ: En plus, je crois que, politiquement
Ce sont des gens bien

- Ils s’insèrent plus ou moins dans
Le mouvement "hippie" que
Pensez-vous, précisément
De ces hippies ou des beatniks?

BREL: C’est l’anarchie moderne! Une forme
De refus c’est quelque
Chose de nouveau et qui, en tout cas
N’a rien de guerrier
Ça c’est déjà sympathique j’aime
Beaucoup moins les colliers et
Tous ces trucs-là
Ça me fatigue un peu mais ça n’a rien de
Violent c’est pas mal ça
Si l’on songe que les gens de vingt ans sont
Élevés depuis toujours pour tuer… Où ça se
Complique un peu
C’est qu’il y a un petit coup américain
Dedans il y a les Hindous
Qui s’en mêlent aussi
On ne sait plus très bien

BRASSENS: Il y a toujours un
Peu de snobisme aussi
Les gens qui font semblant
De trouver ça bien

BREL: Oui… mais ça a une couleur
Qui n’est pas vraiment antipathique

FERRÉ: Vous avez la réponse, on aime beaucoup

- Comment réagissez-vous à la
Publicité? Vous sert-elle
Vous intéresse-t-elle?

FERRÉ: Il faut bien qu’on
Sache où nous chantons

BRASSENS: Quand on signe un contrat
On ne refuse pas que les gens
Parlent de nous, évidemment mais il
Y a publicité et publicité
C’est toujours pareil

BREL: Il y a publicité et conditionnement

BRASSENS: Quand on passe en public
On l’annonce et c’est tout on
Ne va pas jusqu’à
Faire la parade… C’était sympathique
D’ailleurs ca ne
Se fait plus guère tu nous vois
Faisant la parade?

BREL: L’hiver, non l’été, oui!

BRASSENS: Oui
Ça n’est pas une mauvaise idée
Mais tu risquerais d’emmerder
Les gens qui voudraient en voir
D’autres aussi pourquoi nous trois
Tu comprends?

FERRÉ: Eh, parce que, nous trois
Enfin… Un petit syndicat, comme ça

FERRÉ: C’est quelque chose de fraternel que
Je dis en ce moment
Évidemment et sans aucune idée d’argent
Ou quoi que ce
Soit derrière la tête ca me plairait beaucoup

BRASSENS: Oui, on peut le
Faire, pourquoi pas
On n’a rien contre on pourrait
Le faire à l’occasion d’un truc, mais
Faire ça tous les jours
Je ne sais pas si c’est faisable

FERRÉ: Non, deux ou trois fois
Ca ne serait pas mal, non?

BREL: Ah oui! Moi, dès que c’est dément
Je plonge!

- Comment vivez-vous? Avec des copains? Une
Femme? En compagnie d’animaux? Comment?

FERRÉ: Les gens sont toujours
Intrigués par nos
Vies ils voudraient rentrer dans nos
Vies… Chaque fois que les gens sont
Entrés chez moi par effraction sentimentale
Il m’est toujours arrivé des
Salades abominables il
Y a des gens qui se démerdent
Pour rentrer dans la vie des artistes
Et ce sont de sales gens!

- C’est peut-être, en partie, parce
Qu’à cause de votre talent
Vous êtes des hommes publics?

BRASSENS: Ah oui! Mais cela
N’implique pas que
Je doive tout faire, tout accepter
Tout dire
On a quand même des droit's les droit's
Que personne ne conteste aux autres
Pourquoi nous les contesterait-on à nous?

FERRÉ: Nous sommes des hommes publics
D’accord mais
Avec le métier que nous faisons
Nous ne pouvons pas ne pas souffrir
De ça je vais vous raconter
Une histoire… Chaque fois que je rencontre
Dans la rue une femme
Qui vend son corps – c’est à dire
Une putain –, si elle me reconnaît
Elle ne me fait
Jamais l’article j’ai longtemps
Cherché pourquoi et j’ai trouvé: c’est
Parce que je fais le même métier qu’elle
Parce que je vends quelque chose de mon
Corps quand on est sous les
Projecteurs, les gens payent
Ils achètent un billet, ils
Viennent nous voir
Ils attendent que vous leur
Plaisiez ou que vous
Vous cassiez la gueule de toute façon
Ils attendent quelque chose: c’est
Vous avec votre
Corps! Et vous vendez quoi? Votre voix! Eh
Bien, entre le dessus et le dessous
Il n’y pas beaucoup de différence
Voilà, pourquoi les putains ne me
Font pas l’article quand elles
Me reconnaissent et je suis
Sûr que pour vous, c’est la même chose

BREL: De toute façon, en gros, elles
Sont aussi artistes que nous
Et nous sommes aussi putains qu’elles

FERRÉ: Bravo! C’est merveilleux

BREL: Pour en revenir à nos petites vies
Je crois que si l’on écrit
C’est qu’on ne vit pas tellement

FERRÉ: On vit comme tout
Le monde brassens, lui, il aime la
Peinture, je ne sais pas quoi
Le café au lait
Les chats… Brel… il aime quoi?

BRASSENS: Vous prenez la vie
De n’importe qui, c’est la
Nôtre, quoi chacun a ses tics, ses manies
Ses habitudes

- Quelle place tient la femme dans votre vie?

BRASSENS: Ca, c’est une autre histoire!

FERRÉ: On est tous logés à la même enseigne

- Qu’est que vous appréciez chez une femme?

BREL: …Ce qu’on espère ou ce qu’on redoute

BRASSENS: C’est tout simple un
Type rencontre une femme, il
Est amoureux d’elle, ça dure
Deux mois, deux ans
Vingt ans et puis c’est tout c’est comme pour
Tout le monde là aussi c’est pareil

- Pensez-vous que la femme
Soit capable d’apporter
Quelque chose d’important à
L’homme? L’équilibre, par exemple?

FERRÉ: Non!

- Pourquoi?

- Léo Ferré
Lui est beaucoup plus catégorique

FERRÉ: Je dis non
Parce que la femme n’a de cesse
Qu’arrive – après l’amour- la
Tendresse, ce bâtard insoutenable de l’amour
Qui fout tout par terre et qui, moi
Me rend encore plus seul que tout la
Tendresse, c’est la fin du monde
Parce qu’on est chocolat
Quand quelqu’un est tendre avec
Moi, je suis marron
Je suis un esclave et si je suis un
Esclave je ne suis plus un homme! Voilà
C’est tout on n’a pas le
Droit de se foutre dans
Les pattes d’une bonne femme qui
Vous tient en laisse!

BRASSENS: Je crois que sur le plan
De notre vie de chanteur, nous n’avons
Pas tellement besoin des femmes nous en
Avons besoin comme tout le monde
Vous savez bien pourquoi

BREL: Pour faire le marché!

BRASSENS: L’amour est une chose difficile
D’ailleurs, vous le voyez bien
Ça ne réussit pas tellement à
La plupart des gens

BREL: Mais il y a très peu de
Gens qui sont fait's pour l’amour, très peu

BRASSENS: Bien sûr la plupart des gens, si
On ne leur en avait pas parlé
Ils n’y auraient pas même pas pensé!

BREL: C’est une invention de la
Littérature de la Renaissance, enfin

BRASSENS: Et puis
Il ne faut pas oublier que
La vie sexuelle a de
L’importance chez les individus
C’est même l’une
Des choses les plus importantes, après

FERRÉ: L’amour
C’est une chose instantanée c’est
L’histoire du rêve familier de Verlaine
Ou de la passante de
Baudelaire… Il faudrait pouvoir
Faire l’amour – je dis cela en toute
Quiétude, sans aucune mauvaise pensée
– avec une
Femme instantanément et ça c’est pas possible
Et pourtant, parfois, il vous est arrivé de
Rencontrer une fille dans la rue
Avec qui vous auriez fait l’amour
Immédiatement mais ça n’est pas
Possible il y a dix mille
Tabous autour de ça

BREL: On est tous les trois beaucoup trop
Féminins pour apprécier follement les femmes

FERRÉ: On est, finalement
Toujours exploités par les femmes!

BREL: Ah non! non! Moi qui
Ai une réputation de misogyne, je
Ne suis pas de ton avis
Je suis relativement misogyne
Mais je ne trouve pas que toutes
Les femmes exploitent tous les hommes

FERRÉ: J’aime bien le
"relativement"! Explique-moi ce
Que ça veut dire "relativement misogyne"

BRASSENS: Moi, je ne suis pas du
Tout misogyne une femme me plaît, elle
Me plaît une femme ne me plaît
Pas, elle ne me plaît pas
Ça ne va pas plus loin ce
N’est pas un parti pris

FERRÉ: Mais misogyne, ça ne veut pas dire ça

BRASSENS: Oui… c’est plutôt le type
Qui se méfie des femmes

BREL: C’est ça, je suis méfiant je ne crois
Pas tout leur baratin

BRASSENS: Oui, mais, d’un autre
Côté, sont-elles vraiment responsables
Les femmes?

BREL: Non pas du tout c’est pour cela que
Je dis " relativement misogyne " elles
Sont élevées comme ça, souvent
Avec cet instinct
De propriété dans l’amour… Mais comme nous
Nous sommes élevés aussi d’une certaine façon

FERRÉ: Vous savez, moi, je crois
Que l’homme est un enfant
Alors que la femme n’est pas un enfant voilà

- Avez-vous le sentiment, tous les trois
D’avoir bien… ou très bien "
Réussi votre vie "?

BREL: Elle n’est pas encore finie!

BRASSENS: On verra ça à la fin
Peut-être que ça va mal finir?
Jusque-là, on a fait à peu
Près ce qu’on a voulu
Comme on disait tout à l’heure

FERRÉ: On est libre on fait ce que l’on veut
Tout de même

BRASSENS: Ecoutez, faire des chansons
Les chanter en public
Et avoir le plaisir de voir que le public
Les accepte et les reçoive
C’est quand même pas
Mal il y a de quoi être content, oui

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